"Paranoïa et contagions délirantes. Le lieu de l'horreur sourde" : Conférence du 08 octobre 2016

08/10/2016 13:43

 

Ariane Bilheran, Conférence donnée en visio au Colloque "Danger en Protection de l'Enfance" à Toulouse le 08 octobre 2016.

 

Découvrez ici mon texte pour les actes du colloque "Danger en protection de l'enfance. Dénis et instrumentalisations perverses", organisé par le REPPEA, et qui s'est tenu le 08 octobre 2016 à Toulouse, et que je retranscris ci-dessous :

 

Paranoïa et contagions délirantes

Le lieu de l’horreur sourde

 

 

 

« ACHILLE

Des cris terribles se font entendre parmi les Grecs.

CLYTEMNESTRE

Quels cris ? dis-moi.

ACHILLE

Au sujet de ta fille.

CLYTEMNESTRE

Ce que tu me dis là est de mauvais augure.

ACHILLE

Ils crient qu'il faut l'immoler. »

 

Euripide, Iphigénie à Aulis.

 

 

 

La paranoïa est « le lieu de l’horreur sourde », c’est-à-dire, de celle que personne ne veut entendre.

Très peu de professionnels osent nommer la paranoïa.

 

Or, si la perversion aide à se voiler la face, la paranoïa contribue à la faire perdre, dans l’ignorance totale du professionnel qui la perd, puisque la paranoïa défend l’indéfendable, inverse les valeurs morales et est un projet de « meurtre d’âme », pour reprendre les mots d’un paranoïaque célèbre dans la littérature psychopathologique, le cas Schreber.

 

Cette pathologie de la paranoïa est d’autant plus méconnue que dangereuse, et d’autant plus dangereuse que méconnue.

 

Elle est pourtant très répandue, souvent confondue avec la perversion, sa meilleure alliée, et crée des dégâts considérables dans les collectifs humains par ses effets de contagion délirante.

 

Voici un petit résumé de ce dont il s’agit, en préambule.

 

La paranoïa est une psychose, fondée sur le délire interprétatif, la projection et le contrôle.

Appelée « folie raisonnante » par les psychiatres Sérieux et Capgras au début du XXe siècle, cette folie piège : elle présente l’apparence de la raison, de la logique, du discours argumenté.

Le paranoïaque organise un délire de persécution, fondé sur l’interprétation négative des signes, des gestes, de tout ce qui lui paraît étrange.

« Je suis victime d’une machination » dira le paranoïaque.

Il persécutera donc ceux qu’il aura désignés comme ses propres persécuteurs, sur fond de mythomanie et de mégalomanie. Niant le passé, l’altérité, la différence sexuée, la paranoïa désigne des boucs émissaires à abattre, divise le collectif, espionne et supprime tout droit à l’intime comme à la subjectivité.

La paranoïa est un système clos qui prêche paradoxalement que c'est pour le bien de l'autre, l'empêchant ainsi de se défendre et le sidérant psychiquement. Elle se nourrit de la haine et de la manipulation érotisée des institutions, et notamment, de l’institution judiciaire. Tout est organisé autour du complot supposé d’autrui à son encontre, alors qu’en réalité, c’est bien le paranoïaque qui crée sans arrêt de nouveaux complots dont il attribuera l’origine à d’autres, ce qui justifiera des interventions supposées de « légitimes défenses ».

Ainsi, la paranoïa est bien la pathologie maîtresse du totalitarisme et du harcèlement.

 

 

La perversion est une pathologie du narcissisme, qui instrumentalise à son propre intérêt.

Utilisant autrui comme un objet, la perversion le jette quand elle n’en a plus besoin. La perversion signifie, étymologiquement, ce qui est détourné de son but. La perversion veut dire, ni plus ni moins, au niveau psychopathologique, ce qui détourne la sexualité de son but. Ainsi, le pervers nie que la sexualité soit œuvre créatrice et fécondatrice, nie l’altérité de l’autre sexe, l’entièreté de l’autre, qui est alors réduit à n’être qu’un instrument ou une fonction, parcellisé en « pied » ou en « cheveux » (fétichisme).

La négation de l’altérité concerne également la différence des sexes, le féminin étant, la plupart du temps, méprisé, broyé, humilié, diminué. La jouissance obtenue n’est ni partagée ni créatrice pour chacun : elle est sadique et destructrice. Le pervers prend tout et ne partage pas. Il capture ce qui est sain et constructif, pour le dévier, le détourner, le salir et le détruire.

La perversion est l’exécutante consciencieuse et habile de la folie paranoïaque. Le paranoïaque définit la stratégie, quand le pervers déploie la tactique.

Tandis qu’Hitler était paranoïaque, les industriels et financiers collaborant au projet nazi relevaient de la perversion. Les régimes paranoïaques sont impérialistes, guerriers, mensongers. Ils nient l’origine, s’auto-engendrent, mutilent les connaissances en « utiles » et « inutiles », divisent le peuple, ne vouent plus aucun respect aux Anciens, et sont fondés sur une sophistique paranoïaque. Les profils pervers les aident à accomplir leur entreprise de conquête et de destruction.

 

Ces pathologies avancent à visage masqué dans les institutions et les familles, d’une part car elles sont expertes en manipulation, d’autre part car la paranoïa infiltre des idéologies délirantes qui ne seront conscientisées (lorsqu’elles le seront), par ceux qui les subissent, que de nombreuses années après, une fois sortis du système délirant.

C’est le même principe que dans les sectes ou les divers fanatismes : lorsque l’on est immergé dedans, l’on ne s’en rend guère compte…

 

Les professionnels doivent donc connaître ces mécanismes de contagion délirante, savoir qu’ils existent et contaminent d’autant plus les institutions que ces dernières ont affaire à ce type de profils pathologiques, et en particulier à la psychose paranoïaque, ce qui est très fréquemment le cas en protection de l’enfance, l’enfant étant tout à la fois idéalisé par le paranoïaque, fétichisé par le pervers, et sévèrement intrusé, transgressé et maltraité par ces deux profils…

 

Cette contagion sournoise fait de la paranoïa le lieu de l’horreur sourde dans les collectifs humains. C’est ce que j’étudie depuis plus de vingt ans. Et cette contagion n’est opérante que parce que « des gens de bien », des « honnêtes gens », des professionnels « normaux » se laissent contaminer psychiquement.

 

La paranoïa opère par projection, mécanisme central, et fédère le groupe autour d’un bouc émissaire, supposé persécuter ledit groupe mais qui est en réalité persécuté.

 

Prenons l’exemple de « l’aliénation parentale ».

Je voudrais d’abord préciser qu’en interrogeant la viabilité de ce concept, nous ne mettons pas en question que des parents psychotiques puissent aliéner leur enfant. Nous mettons en question la définition du concept, son usage métonymique (faire de quelques symptômes un « syndrome », et confondre le symptôme et le processus) et surtout, projectif, par les institutions et les parents paranoïaques.
Car le paranoïaque accuse toujours autrui de ce qu’il fait lui-même.

Il accusera le parent protecteur d’« aliénation parentale », et sera repris en chœur par les institutions, qui ne disposent d’aucun outil clinique ni diagnostique sérieux pour repérer les processus psychotiques et délirants.

 

Le paranoïaque est le créateur de l’aliénation parentale :

·       Créateur de l’aliénation car il englobe et aliène son enfant dans la folie

·       Créateur du syndrome d’aliénation parentale pour projeter chez l’autre, en créant son propre néologisme - comme toujours dans la psychose - sa propre aliénation envers son enfant.

En clair, il accuse l’autre parent de ce qu’il fait lui.

Par l’utilisation abusive d’un concept fallacieux et vague, il persécute le parent protecteur et l’enfant victime.

Et lorsque ce délire projectif est repris par l’institution, selon des mécanismes d’aliénation de l’institution elle-même, nous sommes bien dans la contagion du délire paranoïaque qui fonctionne par divers mécanismes psychiques : contagion par terreur et sidération, par déstructuration des représentations et du langage (je travaille en profondeur la « sophistique paranoïaque » ou les effets de délire dans le langage, qui viennent à abraser toute réflexion chez l’interlocuteur et à l’aliéner au délire), par séductions perverses etc.

 

Il existe bien, aujourd’hui, un « totalitarisme rampant »[1], qui désormais ne se cache plus de sa concupiscence pour « avaler tout cru » l’enfant, avec la complicité de beaucoup de « gens de bien ».

 

Trop souvent nous constatons ces situations où la paranoïa parentale vient infiltrer les équipes.

La diabolisation de l’enfant victime, et la persécution du parent protecteur relèvent en effet du registre paranoïaque. Que ce soit fait au nom de la production délirante qu’est le « syndrome d’aliénation parentale », utilisé de façon projective, est encore plus signifiant.

 

L’enfant est remis à son agresseur, le parent protecteur est écarté, la Loi n’est plus respectée.

Elle est tordue dans l’intérêt du paranoïaque. Le paranoïaque se croit l’incarnation de la Loi. Le problème s’aggrave lorsque la justice se fait elle-même contaminer et lui donne raison, contribue à tordre la Loi, qui ne devient plus un instrument de protection des enfants, mais un instrument de maltraitance…

 

J’ai des situations cliniques où n’est même plus respectée l’injonction première selon laquelle « le Pénal tient le Civil en l’état », c’est-à-dire que les plaintes au pénal passent avant celles au civil !!! Et c’est ainsi qu’une patiente peut être jugée et condamnée pour non présentation d’enfant, alors que la plainte au pénal pour viol de l’enfant court toujours depuis des années…

 

Comment en est-on arrivé à un déni général dans ces situations-là qui :

1° Persécute les enfants et les parents protecteurs ?

2° Conforte les agresseurs dans leur toute puissance ?

3° Ne rencontre pas (ou peu) d’écho dans la population ?

4° Lorsqu’il est dénoncé par les professionnels, entraîne leur persécution par des représailles institutionnelles ?

 

Il y a, précisément, à cet endroit, le « chef d’œuvre » de la paranoïa : par le harcèlement de la population et des institutions, la propagande, et différentes méthodes de soumission psychique, obtenir l’aliénation groupale au délire, c’est-à-dire à la création d’une néoréalité qui n’existe pas, dans laquelle l’enfant victime devient un élément gênant à faire taire, dans laquelle les parents et professionnels protecteurs sont persécutés, et dans laquelle de nombreux pédocriminels, dont certains connus, ne sont pas poursuivis et participent au fonctionnement de la société sans être le moins du monde entravés…

Tout ceci relève du registre totalitaire, et tous mes travaux visent à faire la lumière sur ces mécanismes psychiques de contagion délirante dans le collectif.

Car sans l’adhésion psychique des « gens normaux », le paranoïaque n’aurait aucun pouvoir.

 

Le délire correspond toujours à la création d’une néoréalité qui remplace la réalité existante.

La psychanalyse parle du principe de réalité, c’est-à-dire que si cette table est carrée, elle n’est pas ronde. Le principe de réalité pourrait se définir comme ce contre quoi l’on se cogne. La réalité inspire toujours du déplaisir car elle est limitative. Je ne peux pas voler de mes propres ailes, sauf au sens figuré. C’est un fait. Une réalité. Qui cause de la frustration, du déplaisir.

Or, dans le délire, si je veux, je peux voler de mes propres ailes.

Le délire est toujours une tentative de réparation d’un narcissisme blessé qui dénie la réalité, source de trop d’angoisse, trop de souffrance, en tout cas, d’une impossible représentation. Le délirant ne négocie pas avec la réalité (« je ne peux pas voler physiquement, mais je négocie d’imaginer que je pourrais voler tout en sachant que je ne le peux pas »), il impose sa réalité (« je vole avec mes ailes, la réalité n’existe pas pour m’imposer ses limites »).

Le paranoïaque délire sa toute puissance.

Il est omnipotent, omniscient, homme et femme à la fois, jeune et vieux, il est TOUT.

 

Le délire paranoïaque pêche par ce que les Grecs anciens appelaient la démesure.

Le paranoïaque se prend narcissiquement pour Dieu.

Il sait.

Il sent.

Il « intuitionne ».

Il gère.

Il décide.

Il est la LOI.

Il sait pour l’autre ce qui est bon pour lui.

Il est Dieu.

Quiconque lui désobéit, désobéit à Dieu.

 

Le délire paranoïaque, orchestré sur le déni, veut s’étendre.

C’est un délire prosélyte. Le même que l’on trouve à la source des fanatismes religieux.

Et c’est un délire projectif. Le paranoïaque maltraite, insulte, humilie tout ce qui fait office d’altérité. La majorité des paranoïaques sont des hommes et dénient l’altérité première, celle de la femme.

 

Comme le développera le Dr Eugénie Izard, le paranoïaque est le « tout » sans vide, sans absence, sans castration, sans limitation de temps ni d’espace. Il se vit comme auto-engendré, né de nulle part, sans ancêtres, sans généalogie ni descendance non plus (sa descendance, c’est lui, et qui lui désobéit dans sa progéniture sera sévèrement châtié), et ne supporte pas la moindre résistance.

 

De nombreuses violences émanent donc des paranoïaques en protection de l’enfance.

 

Le cas clinique majoritaire est celui d’un père paranoïaque qui, n’ayant pas digéré narcissiquement la séparation qu’il vit (même lorsqu’il en est à l’initiative) comme une « trahison » de l’autre, persécute son ex-femme, la harcèle, et prend les enfants en otage, en les aliénant, maltraitant, abusant sexuellement.

Comme le paranoïaque est procédurier, il partira en justice, ou fera en sorte de conduire l’autre à porter de nombreuses plaintes.

 

Il se cherche des alliés contre qui lui résiste, et bien sûr, les cherche auprès des professionnels des institutions. Il rencontre des alliés pervers, parfois lui-même tente de « soigner » son délire en entrant dans la réalité par le biais du sadisme pervers, notamment dans la pédophilie.

 

Je ne vais pas développer ici toute cette pathologie, qui mériterait des jours entiers d’enseignement, et je renvoie, pour ceux qui souhaitent l’approfondir, à mon livre Psychopathologie de la paranoïa, paru en juillet 2016 chez Armand Colin.

 

Le paranoïaque dit « avec ou contre moi », « si tu es contre je te tue », et « avec moi, nous allons tuer ensemble pour le bien ». Le bien devient « le respect de la loi », laquelle a elle-même été instrumentalisée pour correspondre à l’idéologie folle du paranoïaque.

 

Je parle bien de délire, et pas seulement d’emprise.

L’emprise est le fait du pervers, qui jouira de prendre le contrôle de l’institution et des personnes, pour les activer comme des marionnettes selon son bon-vouloir, son désir et son intérêt du moment.

Souvent, le pervers instrumentalisera l’institution contre la victime, et l’institution sera donc complice de la mise à mort de la victime, sans se rendre compte qu’elle est instrumentalisée à des fins de toute-puissance et de contrôle, qui sont les objectifs paranoïaques.

L’art de la perversion est celui de l’emprise, qui consiste à capturer, par le biais de la manipulation, l’énergie psychique d’autrui, pour le vider de sa substance vitale.

Rappelons que le manipulateur est celui qui n’a pas le pouvoir, et est obligé d’influencer les décisions d’autrui pour obtenir ce qu’il désire.

 

Le paranoïaque n’est pas vraiment dans l’emprise, car dans l’emprise, il faut reconnaître un minimum l’existence de l’autre, pour ambitionner de le dominer.

Le paranoïaque est dans l’aliénation : l’autre doit s’aliéner à sa façon de relire, recréer le réel dans son délire.

C’est plus grave, et c’est important de faire la distinction.

La perversion ouvre la porte à la transgression paranoïaque, qui est totale.

L’emprise est un adjuvant pervers de la contagion délirante qui vise à nier toute subjectivité et toute existence différenciée.

 

Rappelons que, dans le système totalitaire :

·       les pervers sont toujours les alliés des paranoïaques.

·       les enfants sont toujours des cibles privilégiées.

·       l’autorité n’existe plus, les figures paternelles d’autorité ne fonctionnent plus ou sont dévoyées (le tiers, la loi, l’éducateur, le manager etc.). N’ayant plus de protection incarnée par l’autorité, les personnes se vivent comme des enfants face à une toute-puissance dévorante que rien n’arrête.

 

Dès lors, la contagion délirante s’enracine sur la base des mécanismes de défense que les uns et les autres sont bien forcés d’employer, pour tenter de survivre au délire paranoïaque qui se propage et ce, jusqu’à une société toute entière, et je vous renvoie à l’intervention du Dr Izard sur le sujet.

 

Conclusion

 

Bien sûr, les dégâts de la paranoïa sur l’enfant sont majeurs, et je dirais même plus, c’est ce qui est souhaité par ceux (paranoïaques et pervers) qui ont tout intérêt à aliéner dès leur plus jeune âge, et définitivement, les forces vives du futur.

De tout temps, les totalitarismes ont utilisé la propagande et l’idéologie sur les enfants.

Il faut considérer qu’aujourd’hui nous devons faire face à un totalitarisme nouveau, un « totalitarisme rampant », qui ne dit pas son nom, mais est très puissant dans les idéologies qu’il propage pour mieux pouvoir déstructurer les enfants à la racine, et est d’autant plus redoutable dans la force de son délire.

Que chacun, à son niveau, fasse en sorte de ne pas y souscrire et de se clarifier l’esprit.

Votre présence ici atteste de votre désir de clarté et de connaissance, et acquérir l’information, en ces temps où notre discours est stigmatisé, est un gage de conscience.

Je vous remercie de m’avoir écoutée et je vous souhaite à tous le meilleur pour la suite.

 

Santa Marta (Colombie), 08 octobre 2016.

Ariane Bilheran

 

 

Ariane Bilheran, normalienne (Ulm), psychologue clinicienne, docteure en psychopathologie.

Spécialisée dans la psychologie du pouvoir (pouvoir déviant : manipulation, harcèlement, perversion, paranoïa, et pouvoir juste : autorité), et dans la récupération de son pouvoir personnel.

 

Auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages, dont :

Le harcèlement moral, Paris, Armand Colin, 2006 (3ème réédition 2013)

Harcèlement. Famille, Institution, Entreprise, Paris, Armand Colin, 2009.

Tous des harcelés ?, Paris, Armand Colin, 2010.

Se sentir en sécurité, Paris, Payot, 2013.

Soyez solaire !, Paris, Payot, 2015.

L’autorité. Psychologie & Psychopathologie, Paris, Armand Colin, 2016.

Psychopathologie de la paranoïa, Paris, Armand Colin, 2016.

 

 



[1] Bilheran, A. 2010. Tous des harcelés ?, Paris, Armand Colin.